Lundi 9 octobre
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14:00
Un très beau reportage sur les crochets Okipa hier soir dans Zone interdite. Mais de ma part un certain dégoût pour la coloration journalistique du reportage. D’un coté des jeunes, épris de piercing et de performance, avec une hygiène irréprochable, un discours assez posé, et un sentiment général de quiétude et de l’autre coté un reportage très voyeur et très critique à leur encontre.
Je n’ai pas pu m’empêcher de pester lorsque j’ai entendu l’interview du psychiatre, lamentable de certitude, qui n’a abordé la scène que sous l’angle manichéen du "c'est mal, ils s’infligent de la souffrance c’est morbide "…ni l’attitude de la juriste de dire « ah! il faut légiférer » comme si…le droit avait réponse à tout et surtout à nos besoins, à nos pulsions, à nos émotions.
A aucun moment ce reportage n’a abordé la performance avec les crochets Okipa sous l’angle historique symbolique ou psychanalytique. C est sous cet angle-là que va être abordé donc…les crochets Okipa.
La suspension par Crochet Okipa est issue d’une tradition ancestrale,
la Fête hindouiste Tamoul du Kava di et de Thaipusam. Au même titre que les auto- flagellants le kavadi est le portage de la divinité dans sa chair et des passages par une transcendance de la douleur afin d’atteindre des états modifies de conscience. Thaipusam est une fête hindouiste célébrée en l'honneur de Lord Subramaniam encore appelé Murgan, fils du dieu Shiva et de Parvathi, qui donna à Murgan une lance pour vaincre les démons et leur armée qui affligent le monde avec toutes sortes de souffrances. Thaipusam a lieu chaque année le 10ème mois lunaire du calendrier Tamil ou mois de THAI durant lequel la constellation PUSAM étoile du bonheur s'élève au dessus de l'horizon. Cela correspond à janvier ou février de notre calendrier. Les participants au festival de Thaipusam sont ceux qui souhaitent demander une faveur future à Murgan, le remercier pour un voeu déjà réalisé ou encore ceux qui désirent se repentir de fautes passées. Ils marchent depuis le temple de Sri Srinivasa Perumal localisé dans le quartier de Little India jusqu'au temple Indu de Chettiar en portant des offrandes destinées à Murgan. Certains des participants portent un Kavadi, structure très lourde dont les supports et crochets en acier pénètrent leur chair. Ils percent aussi leurs joues et leur langue de longues tiges métalliques. Certains marchent sur des chaussures à la semelle faite de clous ! D'autres suspendent fruits ou fioles remplies de lait avec des hameçons à leur peau, ou encore dansent jusqu'à l'extase mystique. Ceux qui n'ont pas la force d'arriver au temple de Chettiar sont aidés et encouragés par leur famille; Ces scènes émouvantes rappelent le sérieux de ce festival. La croyance en Lord Murgan éviterait douleurs et saignements. Cette fête hindouiste est pratiquée en inde mais également à Ceylan et dans l’Ile Maurice. Cette fête a inspiré un américain plus connu sous le nom de Fakir Musafar. (http://www.bodyplay.com/)
Cet homme a été sans doute l’un des premiers à réaliser des suspensions par crochet Okipa avant que le mouvement soit repris par une frange de la jeunesse adepte de la body modification corporelle.
Actuellement l’un des chefs de file de ce mouvement est le français Lukkas Spira qui réside au Japon avec
la Belle Satomy (maîtresse Es bondage et fetish geisha)
L’origine religieuse de cette fête explique donc cette recherche de sensations décalées et d’état modifié de conscience, une sorte de sortie hors de son corps, provoquée par la déflagration intense de la douleur avec endorphines.
Mais par delà cette recherche, cette démarche invite à une réflexion de fond sur le désir de performance.
Dans toutes les sociétés tribales, le passage à l’âge adulte se faisait après une forme d’initiation, où risques et douleur étaient savamment liés.
Pour devenir adulte l’adolescent devait affronter sa peur et la douleur. Nos sociétés modernes ont totalement supprimé ce rite de passage, même le vieux service militaire qui était souvent le moyen d’en finir avec la famille d’origine n’existe plus.
De nombreux hommes ont le besoin d’en revenir à des émotions intenses, dangereuses, histoire de clan et de famille, d’identité.
Notre société actuelle balaie et exclut le risque, plus de moto, plus de vitesse, société aseptisée, désinfectée, stérilisée où le risque est interdit, parfaitement exclus….alors…
D’autres frontières sont découvertes, et le corps devient terrain d’exploration, terrain de jeu et de liberté.
L’autre volet qui n’a pas été abordé est la notion de blessure symbolique. De très nombreuses sociétés archaïques connaissaient les blessures symboliques (dont parle tres bien Bruno Bettelheim) que ce soit le piercing ou le tatouage.
Porter Dieu en soi avait une valeur de protection…
Dans cette démarche de body performeur n’y aurait-il pas surtout ce besoin de retrouver un sens sacré aux choses ?
Le mercantilisme ambiant, la perte de repères, une société moderne bien souvent incapable d’offrir aux jeunes une place digne de ce nom explique ce retour à des valeurs archaïques d’acte tribal et de performance sacrée, comme si les sociétés d’origine étaient les seules à pouvoir offrir une porte de sortie…. Nous marchons bien souvent sur la tête, et plutôt que de se dire « c est mal » pourquoi ne pas se dire "pourquoi?"
Cette notion de pourquoi m’interpelle et je souhaite rencontrer ce type de performeur et sans doute partager avec eux certaines scènes (même si je me sais incapable de vivre ce type d’acte) Initiation, c est bien encore là cette vision sacrée de la vie qui réapparaît.
En revenir vers le sacré dans une époque ou la désacralisation est constante. Je ne parle sûrement pas du sens religieux mais du coté sacré des choses que nous avons bien souvent perdues….
C’était sous cet angle-là que j’aurais trouvé intéressant de poser le débat….et que j’ai ouvert la porte à la body performance
Pour en savoir plus :
http://www.bmezine.com/
La mutation n'est pas un terme commercial,
c'est un état d'esprit,
un chemin que nous balisons de notre sang,
un travail qui nous emmène à la frontière du possible et du légal,
c'est un combat contre la médiocrité de nos existences,
un combat pour essayer de s'arracher de cette fatalité
qui voudrait que l'on ne puisse rien y changer,
un combat que nous sommes trop peu à mener pour laisser croire le contraire.
Ann & Lukas ZPIRA. http://www.body-art.net/